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Accueil > Étape 13

13
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 PLAN 

Quartier : Thiers
Lieux mentionnés : Rue Casimir Périer.


Rue Casimir Périer Rue Casimir Périer

©PhBreard

Carrefour Coty 2013 Carrefour Coty 2013

©SA

Le carrefour Thiers vers 1900, carte postale Le carrefour Thiers vers 1900, carte postale

©Archives Municipales

LE HAVRE DE RAYMOND QUENEAU
DANS UN RUDE HIVER

RAYMOND QUENEAU’ S LE HAVRE
IN A HARD WINTER

Raymond Queneau (1903-1976) situe dans sa ville natale l’action du roman Un rude hiver. Plusieurs scènes ont pour décor une bouquinerie de la rue Casimir-Périer, dans les années 1910. Le lieu rappelle également la mercerie familiale de la rue Thiers.

Raymond Queneau (1903-1976) set the action of his novel A Hard Winter in his native city. Various scenes take place in a secondhand bookshop on Casimir-Périer street, in the 1910s. This setting is also reminiscent of the family haberdasher’s shop on Thiers street.

« Éclairée au gaz, la boutique de Mme Dutertre clignotait dans la longue obscure rue Casimir-Périer, clignotait faiblement comme un œil myope. De loin on pouvait prendre cela pour une mercerie miteuse avec un rayon de bonbons sales et un rayon de cahiers. De près, y avait pas d’erreur, c’était un asile de l’intelligence et de la culture et de la civilisation. Éclairée au gaz, Mme Dutertre proposait aux rares amateurs de cette province le sel de toute bibliothèque qu’est un vieux bouquin. »

Raymond QUENEAU, Un rude hiver©Gallimard, 1939. Citation extraite du volume L’imaginaire Gallimard, p. 19. www.gallimard.fr

Écoutez l'extrait

Lecture Bruno Lecoq ; prise de son Dan Hérouard © Gallimard

Raymond Queneau

© Bibliothèque municipale du Havre

XVIe-XVIIIe XIXe XXe < 1944 XXe > 1944 XXIe
Genre : Roman



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> Promenade Raymond QUENEAU
     The Raymond QUENEAU'S walk

Raymond Queneau (1903-1976) est né et a grandi au Havre, où ses parents tenaient une mercerie, dans la rue Thiers. L’écrivain évoque la ville de façon très diversifiée dans l’ensemble de son œuvre. Mais c’est sans doute son roman Un rude hiver (1939) qui concentre le plus de références. L’action se déroule entièrement au Havre, pendant la Première guerre mondiale. Qui plus est, le personnage principal, Lehameau, aime à déambuler dans la ville, seul ou avec la femme dont il est amoureux, Helena. Ce roman permet de dresser une carte de l’itinéraire suivi par ce personnage, comme Queneau se plaisait à le faire pour rendre compte de ses propres promenades au Havre.

Raymond Queneau (1903-1976) was born and raised in Le Havre, where his parents owned a haberdasher’s shop in the Thiers neighbourhood.

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Le funiculaire, 2014 Le funiculaire, 2014

©Estelle Coletta

Le funiculaire, Carte postale Le funiculaire, Carte postale

©AM

Étape 01 : funiculaire

« Il sortit, pour une balade hygiénique et solitaire, en attendant le bureau, les heures penchées sur les transports annoncés, les allées et venues de troupes britanniques, un travail sérieux et confidentiel. En général, il commençait par prendre le funiculaire et suivait un itinéraire assez fixe, point sclérosé pourtant. Il admettait les détours, les crochets, les égarements même. Il marchait lentement, tant à cause de sa patte autrefois cassée que de son humeur mélancolique. S’appuyant sur une canne, il s’en allait à travers les rues désertes en suçant sa bruyère d’un air philosophique. Et ce faisant, naturellement pensait. »

Raymond QUENEAU, Un rude hiver©Gallimard, 1939. Citation extraite de du volume L’imaginaire Gallimard, p. 14. www.gallimard.fr


Quartier : Ville haute
Lieux mentionnés : Funiculaire.
Fort de Tourneville Fort de Tourneville

©Maeva Fleury, VduH

Fort de Tourneville, Carte postale Fort de Tourneville, Carte postale

©AM

Étape 02 : fort de Tourneville

« L’itinéraire méridien de Lehameau, devenu précis, le conduisait maintenant chaque jour près du fort de Tourneville. Il réussissait à s’y trouver vers la même heure que le premier jour, mais ne rencontrait point les enfants. Il attendait patiemment qu’ils apparussent. Ils ne paraissaient pas. Une promenade unique les avait-il amenés là, qui ne se répéterait pas ? Ou bien avaient-ils découvert cette régularité nouvelle, la sienne, et craint quelque satyre ? Ne venaient-ils là que toutes les semaines ou tous les quinze jours ou plus rarement encore ? Ainsi s’organisait un questionnaire chaque jour plus méthodique, mais Lehameau avait toujours eu une prédilection désintéressée pour cette partie de la ville.
Un beau jour, tout à coup, ils se trouvèrent là, devant lui, dans le tram. »

Raymond QUENEAU, Un rude hiver©Gallimard, 1939. Citation extraite du volume L’imaginaire Gallimard, p. 29. www.gallimard.fr


Quartier : Ville haute
Lieux mentionnés : Fort de Tourneville.
Rue Casimir Périer Rue Casimir Périer

©PhBreard

Carrefour Coty 2013 Carrefour Coty 2013

©SA

Le carrefour Thiers vers 1900, carte postale Le carrefour Thiers vers 1900, carte postale

©Archives Municipales

Étape 03 : rue Casimir-Perrier

« Éclairée au gaz, la boutique de Mme Dutertre clignotait dans la longue obscure rue Casimir-Périer, clignotait faiblement comme un œil myope. De loin on pouvait prendre cela pour une mercerie miteuse avec un rayon de bonbons sales et un rayon de cahiers. De près, y avait pas d’erreur, c’était un asile de l’intelligence et de la culture et de la civilisation. Éclairée au gaz, Mme Dutertre proposait aux rares amateurs de cette province le sel de toute bibliothèque qu’est un vieux bouquin. »

Raymond QUENEAU, Un rude hiver©Gallimard, 1939. Citation extraite du volume L’imaginaire Gallimard, p. 19. www.gallimard.fr

Écoutez l'extrait :

Lecture Bruno Lecoq ; prise de son Dan Hérouard © Gallimard


Quartier : Thiers
Lieux mentionnés : Rue Casimir Périer.
Bassin De La Barre Bassin De La Barre

©PhBreard, VduH

Le bassin de la Barre en 1930, photographie Le bassin de la Barre en 1930, photographie

©Archives Municipales

Étape 04 : les quais (quai Lamblardie)

« Au lieu de remonter vers la rue Thiers, et au-delà, vers sa maison à mi-côte, il descendit vers le boulevard de Strasbourg et la Bourse, et, au-delà, vers le Bassin du Commerce. Les yôtes blancs cagnardaient dans une eau lourde, à face d’huile ; quelques-uns, allemands et séquestrés, pourrissaient, abandonnés. Au bout du quai Lamblardie, un trois-mâts norvégien reposait près des bois qu’il avait débarqués. Sur le quai des Casernes, le lent flâneur croisa un groupe de morveux à moitié ivres, de francs bandits de quatorze ans […] Il passa sur le pont, et sous le pont s’épaississait l’eau du port toujours plus crémeuse d’huile et d’ordure, et de charbon. Il prit la rue des Drapiers et, après la pouillerie sordide et vibrante du quartier Notre-Dame, se retrouva en pays civilisé, rue de Paris. Les magasins étaient déjà fermés, ou leurs lumières obscurcies ; mais une foule, autochtone, militaire ou belge, animait consciencieusement cette voie principale. »

Raymond QUENEAU, Un rude hiver©Gallimard, 1939. Citation extraite du volume L’imaginaire Gallimard, p. 27. www.gallimard.fr


Quartier : Centre reconstruit
Lieux mentionnés : Port. Rue de Paris. Place de la Bourse. Bassin du commerce. Boulevard de Strasbourg. Pont. Quai des casernes. Quai Lamblardie. Quartier Notre-Dame. Rue des Drapiers.
Boulevard maritime, 2013 Boulevard maritime, 2013

©DL

Le boulevard maritime au début du XX<sup style='font-size:0.5em;'>e</sup>, carte postale Le boulevard maritime au début du XX<sup style='font-size:0.5em;'>e</sup>, carte postale

©Bibliothèque Armand Salacrou

Étape 05 : boulevard Maritime

« La main de Lehameau descendait vers ses reins. Elle se dégagea. Il fermait les yeux, il s’appuya sur la balustrade qui séparait le boulevard de la plage, se pencha vers les galets comme un orateur vers une foule. Il n’avait pas embrassé de femme depuis treize ans. Il tremblait. Helena le regarda, elle le regardait avec crainte. Elle s’éloigna de lui et se mit à marcher lentement. Lehameau la suivit et quelques pas plus loin la rejoignit et lui prit le bras et ils allèrent ainsi en silence.
Sur le terre-plein de la digue ils s’arrêtèrent et se séparèrent ; ils devaient se revoir le lendemain. Ils ne s’embrassèrent pas, mais se serrèrent la main, poliment. Lehameau tenta vaguement d’allonger le temps de cette poignée de main, de retenir dans sa main la main d’Helena, mais elle s’échappa comme un ruisseau de mercure. »

Raymond QUENEAU, Un rude hiver©Gallimard, 1939. Citation extraite du volume L’imaginaire Gallimard, p. 102. www.gallimard.fr


Quartier : Bord de mer
Lieux mentionnés : Digue nord. Plage.
Les Halles Les Halles

© PhBreard, VduH

Les Halles centrales, Carte postale Les Halles centrales, Carte postale

©AM

Étape 06 : les Halles

« Il s’était éloigné de la mer et se trouvait maintenant en pleine ville, du côté des Halles. Au coin d’une rue, une putain surgit de l’embrasure d’une porte. Elle tenait au-dessus de sa tête un parapluie déployé.
Elle lui dit :
 Tu viens, chéri ?
Il la regarda :
 Pourquoi faire ?
Elle fut assez surprise. Elle ne sut que reprendre :
 Tu viens, chéri ?
Il demanda de nouveau :
 Pourquoi faire ?
Elle continua sa mélopée :
 Pour toi ce ne sera que cent sous.
Il haussa les épaules :
 Cent sous, et vous ne pouvez même pas m’expliquer pourquoi faire.
Elle s’irritait :
 Fais pas l’idiot, beau brun. Cent sous c’est pas cher. Vise si je suis bien roulée.
Il l’examina :
 C’est le parapluie que je n’aime pas.
Il s’en fut. Elle criait :
 Salaud, goujat, mufle.
Il se sentait malade de désir. Helena.
Helena. Helena.
Helena. »

Raymond QUENEAU, Un rude hiver©Gallimard, 1939. Citation extraite du volume L’Imaginaire Gallimard, p. 66. www.gallimard.fr


Quartier : Centre reconstruit
Lieux mentionnés : Les Halles.
L’Eure, rue de l’Amiral Courbet photographie 2014 L’Eure, rue de l’Amiral Courbet photographie 2014

©EC

Rue de L’amiral Courbet, arte Postale, début XX<sup style='font-size:0.5em;'>e</sup> siècle Rue de L’amiral Courbet, arte Postale, début XX<sup style='font-size:0.5em;'>e</sup> siècle

©BM

Étape 07 : l’Eure

« Un tramway l’emmena jusqu’à l’Eure, d’où il revint par les quais et les quartiers ouvriers, une longue promenade à travers un monde de travail et d’horreur. De toute part s’agitaient des machines et des esclaves, l’activité semblait démesurée, abominable. Partout l’espace, haletant et suant, gros de désespoir et de vice, paraissait prêt à sortir de sa cuisse des monstres et des catastrophes. Et le temps n’engendrait que la honte. De rares et lourdes gouttes d’eau se mirent à tomber crevant l’empâtement du ciel et de leur éclatement sur le sol ne germaient que des ombres perverses et accablées.
Lehameau se gavait de mépris et d’horreur et son âme trépignait exaltée. Il entretenait avec délices sa répulsion absolue et fanatique pour la plèbe du port et des usines, pour la racaille en casquette, les prolétaires bourreaux de leurs enfants, insolents avec les honnêtes gens, ivrognes, brutaux, séditieux et sales. Certains quartiers de la ville avec leurs taudis pavoisés de linges et grouillants de mioches, avec leurs bordels et leurs estaminets, représentaient pour lui sur terre l’image la plus proche de l’enfer, à supposer qu’existât ce lieu. »

Raymond QUENEAU, Un rude hiver©Gallimard, 1939. Citation extraite du volume L’imaginaire Gallimard, p. 73. www.gallimard.fr


Quartier : Port et avant-port
Lieux mentionnés : Port. Quais. Quartier de l’Eure.
Église Saint-François Église Saint-François

©PhBreard, VduH

Église Saint-François Église Saint-François

© BM

Étape 08 : Saint-François

« Le hameau s’abrita contre un hangar pour laisser passer le grain, les cargos peinaient sur l’eau lente des bassins, et les marchandises reposaient sur la pierre luisante des quais, et il arriva dans Saint-François avec la nuit, lorsque la pluie eut cessé. Comme escargots après l’orage, des humains de diverses espèces se montrèrent : les sous-maîtresses se collèrent devant leur porte pour héler les passants ; des représentants des divers continents apparaissaient çà et là, leçon gratuite d’ethnographie, et des représentantes pour, payante, la vénérologie. Le long du Grand Quai étaient amarrés les bateaux à roues qui traversaient l’estuaire, et le courrier de Southampton. Lehameau s’arrêta là, regardant distraitement l’inexplicable activité de deux ou trois marins ou stewards abandonnés sur le pont. Il nota soigneusement le lieu exact du débarquement, sa situation, ses approches, puisqu’il pensait à Helena.
C’était là.
C’était là que, pour la première fois, elle avait touché le sol de France.
La France. Helena.
Helena. Helena.
Helena. »

Raymond QUENEAU, Un rude hiver©Gallimard, 1939. Citation extraite du volume L’Imaginaire Gallimard, p. 74. www.gallimard.fr


Quartier : Port et avant-port
Lieux mentionnés : Estuaire. Grand quai. Pont. Quartier Saint-François.
La montée vers les phares de la Hève, Carte postale La montée vers les phares de la Hève, Carte postale

©AM

Vers la Hève, 2013 Vers la Hève, 2013

©DL

Étape 09 : la Hève

« Ils se sont promenés, cette fois-ci, sur le haut de la falaise. Il faisait toujours un beau temps gris d’hiver, un ciel de neige avortée. Un vent sec écorchait la peau. Ils marchent lentement le long de la terre sectionnée ; en bas poudroie la mer. Ils commencent par épuiser la conversation courante, celle qu’on trouve dans les manuels bilingues. C’est aujourd’hui Noël. Noël c’est une histoire de poudigne et de boudin, un prétexte à mangeaille quoi. Helena se déclare agnostique, son père avait été un athéiste militant et sa mère, en France, élevée laïquement. Lui il a été à la messe ce matin. C’est beau la messe, les chants, l’odeur plus que pharmaceutique, la discipline pour le peuple. […]
Sur l’eau en bas il y a des bateaux, mais on ne va pas encore parler des transports et de la guerre. Il la prend par la taille. Il retourne à la conversation courante, celle qu’on trouve dans les manuels bilingues. Il lui dit, je vous aime. Mais non il n’est pas retourné à la conversation courante, c’est un je vous aime à lui, différent des autres, des autres je vous aime. Ils s’embrassent. »

Raymond QUENEAU, Un rude hiver©Gallimard, 1939. Citation extraite de l’Imaginaire Gallimard, p. 135. www.gallimard.fr


Quartier : Bord de mer
Lieux mentionnés : Falaise de la Hève. Mer.
Cimetière Sainte-Marie, 2013 Cimetière Sainte-Marie, 2013

©Collette Valentine

Étape 10 : le cimetière

« Après le déjeuner, il prit le tramway et se rendit au cimetière. […] Le vent, le vent soufflait toujours, c’était un dur hiver, les arbres étaient décapés, seules pendues aux croix se conservaient les fleurs artificielles.
La même dalle de granit portait gravés les noms dorés de Zéphyrine Lehameau, d’Élodie Lehameau et d’Émilie Lehameau, sa mère, sa belle-sœur, sa première belle-sœur, et sa femme. Il s’immobilisa tête nue devant la pierre, les mains croisées, mais il ne priait pas. Il savait bien d’une part que les défunts sont respectables, mais de l’autre il croyait que quand on est mort c’est pour longtemps. Alors il se découvrait se signait croisait les mains, mais il ne priait pas. Il ne priait pas mais ça ne l’empêchait pas de pleurer. Il pleurait le corps immobile, sans hoquets, ni sanglots, comme il en avait l’habitude. Il pleurait ainsi pendant une dizaine de minutes.
C’était très long, dans le froid.
Il était tout seul, dans le froid. »

Raymond QUENEAU, Un rude hiver©Gallimard, 1939. Citation extraite du volume L’imaginaire Gallimard, p. 159. www.gallimard.fr


Quartier : Ville haute
Lieux mentionnés : Cimetière Sainte-Marie.
Maison A. CACCIA, Rue des Galions Maison A. CACCIA, Rue des Galions

©Archives Municipales

Rue des Galions, hiver 2014 Rue des Galions, hiver 2014

©Estelle Coletta

Étape 11 : rue des Galions

« -Tu es marié ?
 Non
 Tu as une petite amie ?
 Non.
 Une liaison avec une femme mariée ?
 Non.
 Des femmes de passages ? Des poules ?
 Non.
 Je suis sûre que tu ne vas pas rue des Galions.
 En effet.
 Alors quoi ? Tu me fais marcher. Je sais qu’avec ma petite sœur tu es très correct. Tu n’es pas un vicieux. Tu n’as pas une tête à avoir des sales vices comme les Bicots. Tu me fais marcher, tu ne veux pas me dire la vérité.
 Je suis chaste, dit Lehameau.
 ph, fit Madeleine.
De la stupéfaction elle passa à l’apitoiement.
 Pourquoi ? Tu ne peux pas ?
Ça c’était drôle. »

Raymond QUENEAU, Un rude hiver©Gallimard, 1939. Citation extraite du volume L’imaginaire-Gallimard, p. 164. www.gallimard.fr


Quartier : Centre reconstruit
Lieux mentionnés : Rue des Galions.