La nuit des Docks

« Ici on disait simplement ‘les Neiges’. Étrange patronyme pour désigner un îlot de terre grise, de maisons basses, de baraques en bois, de toits en tôle et de ruelles étroites. Coupées du reste de la ville, perdues entre ponts, docks et bassins, bordées par les chantiers navals et une usine d’incinération d’ordures, les Neiges étaient un vestige, une forteresse de l’ancien ordre social. Leur population de manœuvres, d’ouvriers journaliers, de chômeurs intermittents y vivait en circuit fermé, comme au bout d’une presqu’île. Elles n’avaient pas mauvaise réputation. Pour les nantis de l’autre côté des quais, les Neiges étaient une sorte de ghetto mystérieux. Un autre monde plutôt qu’un monde malsain. Deux ou trois fois par saison, leur équipe de foot créait une petite sensation en allant cogner des équipes réputées saines, qui respiraient un meilleur air. Pas celui de la centrale thermique dont les deux énormes cheminées balançaient parfois des pluies de suie qui bouffaient les carrosseries. Cette cité était un village de bric et de broc qui aurait fait s’évanouir les fanas du permis de construire. Rafistolée avec les moyens du bord et l’imagination des pauvres, elle avait son école, son église et son stade, mais ne risquait pas de figurer dans un guide touristique… »

Philippe HUET, La nuit des docks ©Albin Michel, 1995, p. 208.



Lieux : Étape 7 - Bassins. Centrale EDF. Chantiers navals. Docks. Les Neiges. Ponts.
Quartier : Port et avant-port
Epoque : XXIe
Genre : Roman
Edition : Albin Michel