Tropique du Cancer

« Collins nous emmena rapidement dans une boîte gargote, bourrée de marins saouls tirant leur bordée, et nous y restâmes quelques temps, à nous divertir du déchaînement homosexuel qui battait son plein. Quand nous filâmes, il nous fallut traverser le quartier aux lanternes rouges, où d’autres aïeules avec les châles sur les épaules, assises au seuil des portes, s’éventaient et faisaient d’aimables signes de tête aux passants. Et toutes si apparemment gentilles, si gentilles, qu’on aurait pensé qu’elles montaient la garde devant une nursery. De petits groupes de matelots passaient en zigzagant et pénétraient bruyamment dans les boîtes tape-à-l’œil. Le sexe partout : il débordait de toutes parts, marée montante qui emportait les pilotis des fondations de la ville. On s’arrêta pour flânocher au bord du bassin, où tout était mélangé et enchevêtré : on avait l’impression que tous ces bateaux, ces chalutiers, ces yachts, ces goélettes et ces chalands avaient été chassés à terre par une violente tempête.
Dans l’espace de vingt-quatre heures, il nous était arrivé tant de choses qu’il nous semblait que nous étions au Havre depuis un mois ou plus. »

Henry MILLER, Tropique du Cancer, traduit de l’américain par Paul Rivet©Denoël, 1934. Citation extraite du volume Folio, pp. 283, 288.



Lieux : Étape 17 - Rue des Galions.
Quartier : Port et avant-port
Epoque : XXe < 1944
Genre : Roman
Edition : Denoël

Écoutez l'extrait :

Lecture Brad Norton ; prise de son Dan Hérouard © Denoël