« Le touriste qui, aujourd’hui, vient au Havre et demande à voir le quartier Saint-François parce qu’il en a entendu parler comme du vieux quartier pittoresque de la ville, n’aperçoit plus devant lui qu’un terrain vague de couleur jaune-vert, bourbeux l’hiver, couvert de mauvaises herbes et de maigres pâquerettes, l’été. Une terre de dévastation sur laquelle traînent des pierres, de la ferraille, des épaves variées, à demi enfoncées dans le sol. […] Seules quelques maisons délabrées subsistent, dans les angles du quartier qui affectait une configuration triangulaire. Elles portent la marque de leurs malheurs, des blessures la défigurent, des pans de murs encore accrochés à elles témoignent de la destruction des autres. L’église, datant de Henri II, grise et noire, avec son modeste clocher carré, à peine plus haut que la nef, apparaît nue au milieu de ce champ de pierres. Quand on ôte les troupeaux de maisons qui se pressent et se chevauchent autour de ces petites églises de paroisses, on les déshabille d’une façon qui évoque un viol. Ici, le viol est venu du ciel. »
Émile DANOËN, Une Maison soufflée aux vents ©Julliard, 1951, p. 11