"Climat de rêve", Poèmes en prose

« Il est à l’embouchure d’un fleuve, une ville énorme au bord de l’eau qui la reflète avec ses maisons noires aux innombrables étages, ses usines, ses chantiers de construction et ses quais. Un ciel gris pèse sur les toitures et s’emmêle aux pointes des mâts : un ciel gris pèse sur cette ville que le soleil n’éclaire que de derrière les nuages.
C’est là que je te conduirai : dans les brouillards du matin, tu respireras l’âpre odeur des adieux. Nous longerons les morutiers ancrés dans le port : ils sentent la saumure et le goudron. Il y a encore les sirènes qui sifflent et les chalands qui s’effacent sur l’eau grise qui les emporte, car le ciel et l’eau ne font qu’une morne étendue où passent, fantômes errants, des apparitions de rêve…
Ta mélancolie se lève avec les brouillards. Tu sais qu’ils sont éternels et saturés des tristesses de tous les voyageurs qui vinrent comme nous au bord de cette eau sale. […] Un navire tout à coup se plaint ? Entends-tu ?
La ville est encombrée d’animation vulgaire. Que t’importe que ces gens soient heureux ou non… Cette eau nous conduira sur la mer assourdie où se dissipent les dernières brumes. »

Francis CARCO, Poèmes en prose©Albin Michel, 1958, p. 43.



Lieux : Étape 17 - Port.
Quartier : Port et avant-port
Epoque : XXe < 1944
Genre : Poésie
Edition : Albin Michel


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