Un rude hiver, L’Eure

« Un tramway l’emmena jusqu’à l’Eure, d’où il revint par les quais et les quartiers ouvriers, une longue promenade à travers un monde de travail et d’horreur. De toute part s’agitaient des machines et des esclaves, l’activité semblait démesurée, abominable. Partout l’espace, haletant et suant, gros de désespoir et de vice, paraissait prêt à sortir de sa cuisse des monstres et des catastrophes. Et le temps n’engendrait que la honte. De rares et lourdes gouttes d’eau se mirent à tomber crevant l’empâtement du ciel et de leur éclatement sur le sol ne germaient que des ombres perverses et accablées.
Lehameau se gavait de mépris et d’horreur et son âme trépignait exaltée. Il entretenait avec délices sa répulsion absolue et fanatique pour la plèbe du port et des usines, pour la racaille en casquette, les prolétaires bourreaux de leurs enfants, insolents avec les honnêtes gens, ivrognes, brutaux, séditieux et sales. Certains quartiers de la ville avec leurs taudis pavoisés de linges et grouillants de mioches, avec leurs bordels et leurs estaminets, représentaient pour lui sur terre l’image la plus proche de l’enfer, à supposer qu’existât ce lieu. »

Raymond QUENEAU, Un rude hiver©Gallimard, 1939. Citation extraite du volume L’imaginaire Gallimard, p. 73. www.gallimard.fr



Lieux : Étape 13 - Port. Quais. Quartier de l’Eure.
Quartier : Port et avant-port
Epoque : XXe < 1944
Genre : Roman


  < Retour