« Le café de la France »

« Le Havre, c’est assez sinistre comme ville, entre les guerres. […] À l’autre guerre, c’était assez marrant. Il était venu du monde (en général militaire) de toutes les parties du monde (en question), ça grouillait (vingt ans après j’ai tout de même un peu romancé ça, excuses). L’autre ne s’est donc pas trop mal passée, mieux même qu’en 70. Mais à cette guerre-ci, ça en a pris un sacré coup. Le Havre a été une des villes les plus bombardées […] En deux jours, le centre de la ville a été mis par terre avec flammes et fracas, et des morts, on ne les a même pas comptés. Il en reste encore sous les pierres et les ferrailles qu’on a mises en tas, des tas qui ne sont d’ailleurs ni très grands ni très hauts. […] C’est ce qu’on appelle rasé […]
Du haut de la côte, je regarde le marasme. Je pense à mes petites ruines à moi, mes ruines personnelles. Dans le port, ça bosse dur. (Pour importer du café ?) Des tas de lumière. Ça vibre. Ou ça fait semblant de vibrer. Et puis après, des zones noires, ruines, putanat, connerie. Paris est un drôle de déguisement, un tantinet vieillot. La vraie France est là. Sous mes yeux, il pleut dessus.
Moi, excuses, je suis poète. Les ruines, le putanat, la connerie, ça réjouit toujours le cœur des poètes. »

Raymond QUENEAU, « Le café de la France », Contes et propos ©Gallimard, 1981. Citation extraite du volume Folio. pp. 170-176. www.gallimard.fr



Lieux : Étape 11 - Port. Côte.
Quartier : Port et avant-port
Epoque : XXe < 1944
Genre : Nouvelle
Edition : Gallimard


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