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Un rude hiver, Les quais

« Au lieu de remonter vers la rue Thiers, et au-delà, vers sa maison à mi-côte, il descendit vers le boulevard de Strasbourg et la Bourse, et, au-delà, vers le Bassin du Commerce. Les yôtes blancs cagnardaient dans une eau lourde, à face d’huile ; quelques-uns, allemands et séquestrés, pourrissaient, abandonnés. Au bout du quai Lamblardie, un trois-mâts norvégien reposait près des bois qu’il avait débarqués. Sur le quai des Casernes, le lent flâneur croisa un groupe de morveux à moitié ivres, de francs bandits de quatorze ans […] Il passa sur le pont, et sous le pont s’épaississait l’eau du port toujours plus crémeuse d’huile et d’ordure, et de charbon. Il prit la rue des Drapiers et, après la pouillerie sordide et vibrante du quartier Notre-Dame, se retrouva en pays civilisé, rue de Paris. Les magasins étaient déjà fermés, ou leurs lumières obscurcies ; mais une foule, autochtone, militaire ou belge, animait consciencieusement cette voie principale. »

Raymond QUENEAU, Un rude hiver©Gallimard, 1939. Citation extraite du volume L’imaginaire Gallimard, p. 27. www.gallimard.fr