scoop Facebook



Accueil > Sur le Jadis

Sur le Jadis

« Enfant j’avais une affection inlassable pour l’ensemble des animaux. Mais à l’intérieur de ce monde (plus fraternel que des frères) les têtards et les tortues étaient privilégiés. Quand traînant dans les ruines du port du Havre je me rendais à ma leçon de piano j’achetais sur la route de Sainte-Adresse, juste au-dessus des bassins du port et des galets, les plus petites des tortues d’eau douce que le marchand regroupait dans un bocal séparé pour les nourrir avec des bouts de ver et des raclures de viande.
Le marchand, qui était un ancien marin, disait :
 Tu veux pas une petite cistude ?
Ces tortues étaient plus petites que les grenouilles âgées et brunes des mares.
Petites cistudes vertes à peine écloses.
À chaque départ en vacances, chaque année, je les introduisais dans un étang, dans un ruisseau, dans la Meuse, dans la Loire, dans le bassin de la cour d’honneur à Sèvres devant le pavillon Jean-Baptiste Lully, dans le petit étang japonais imaginé à partir des dessins de Khan en surplomb. »

Pascal QUIGNARD, Sur le Jadis, Dernier Royaume II ©Grasset 2002. Citation extraite du volume Folio, p. 133.